Depuis quelques temps déjà, les nigériennes sont de plus en plus attirées par le voile sous toutes ses formes, allant du simple foulard de tête au voile intégral. Cet engouement pour le port du voile n’a épargné aucune catégorie d’âge.  Poussez la porte de n’importe quel établissement scolaire et vous verrez les élèves filles porter le voile soit par-dessus  leur uniforme scolaire, soit carrément à sa place! Il n’est pas non plus rare de voir des fillettes de 4/5 ans enveloppées, de la tête aux pieds, dans  un drap noir ou blanc, ne laissant paraître que leur visage tout rond et leurs petites mains.

 Selon certains imams  et sermonnaires autoproclamés des mosquées des quartiers populaires de Niamey, adopter le voile et les pantalons « coupés » c’est se hisser au niveau d’une «élite» religieuse. Ces imams et pseudo-imams profitent de l’ignorance de beaucoup de nigériens sur l’islam pour développer un discours qui fait passer le port du voile et des pantalons coupés pour des prescriptions religieuses ! On utilise  la religion pour fabriquer des frontières mentales entre les voilées et les autres: les non croyants, les croyants non musulmans, mais aussi les musulmans qui ne pensent pas comme eux.  Selon ces imams, s’enfermer dans un drap noir de la tête au pieds, ou bien porter des pantalons coupés , c’est devenir un musulman « authentique », c’est se rapprocher du Prophète, c’est accéder au paradis.

Lors de leurs sermons, ces prédicateurs transmettent une idée de la religion tellement sublimée qu’ils font rêver et pleurer les gens, surtout les femmes et les jeunes. Ils donnent une image si valorisante de la religion au temps du Prophète et de la vie après la mort, qu’à la fin tout le monde veut s’en imprégner. Et c’est là qu’intervient le look extérieur. On a besoin de s’identifier mutuellement dans cette vision des choses, on a besoin de se distinguer des autres, des impurs, des mécréants… Alors on porte le voile et les pantalons coupés, et par fidélité au Prophète, on applique tout à la virgule près. Le Prophète mangeait par terre avec les mains ? Et bien, nous aussi. Le Prophète avait une barbe de tant de centimètres ? Et bien, nous aussi. Les femmes du Prophète portaient un voile ? Et bien, nous aussi. Et nous voilà tous enfermés dans une bulle religieuse, incapables de réfléchir de façon indépendante. Au fait, le Prophète utilisait-il un téléphone portable et Internet pour communiquer ?

S’accommoder de cette nouvelle  vision de l’Islam, être indifférent au port du voile intégral, revient à montrer peu de respect pour cette grande religion qu’est l’Islam. C’est la vider de son essence et la réduire à une poignée d’interdits et de rituels. Tout accepter « au nom de l’islam » revient à avoir une bien piètre considération pour le Coran et ses enseignements. Cette nouvelle vision de l’islam présente la particularité d’arrêter le temps. Au lieu d’être une explication du monde d’aujourd’hui, la religion devient, dans ce cas, un simple mode d’emploi de comment vivre comme au temps du Prophète.

Réfléchissons un instant. Ne laissons pas les prédicateurs du quartier penser à notre place ! Posons-nous quelques questions simples : l’islam étant une religion universelle, que doivent faire les Inuits musulmans qui vivent au Groenland? Doivent-ils se débarrasser de leurs habits traditionnels pour porter des voiles et des pantalons coupés ? Et si le Prophète était né au Groenland, ne pensez-vous pas qu’au Niger nous aurions eu quelques difficultés à porter des vêtements en cuir et fourrure, surtout en avril et mai ?!!  Au VIIème  siècle, en Arabie, les notables laissaient traîner leurs robes pour étaler leurs richesses en public. Le Prophète avait fait la critique de ce signe d’orgueil. Est-ce qu’aujourd’hui, au 21ème siècle, en portant des pantalons normaux ou des habits traditionnels qui leur couvrent les chevilles, les nigériens font preuve d’orgueil ?!! 

Pourquoi vouloir importer et imposer un islam arabe (dans le sens culturel du terme) au Niger ? Lorsque l’islam s’est intégré en Chine, les habits et les mosquées ont tout naturellement pris la forme de la culture chinoise. Séparons donc le culturel du religieux : l’islamité ne passe pas obligatoirement par l’arabité !

Soyons raisonnables : il n’existe pas « d’habit musulman». Le mode d’habillement est forcément lié aux traditions culturelles.  La seule recommandation de l’islam et de toutes les autres religions c’est pour les hommes et les femmes de s’habiller de façon sobre, digne et chaste.  Chaque musulman peut appliquer cette recommandation selon la coutume du pays où il vit. Au Niger, les parents, grand parents et aïeux des adeptes du voile d’aujourd’hui avaient bien compris cela. Ils avaient compris que si l’on veut trouver quelque chose de musulman dans la façon de s’habiller, c’est plutôt l’esprit que le modèle… Pour être fidèle au sacré, il faut préserver l’esprit de ce sacré.

Pourquoi construire un rapport si démesuré  au voile et au pantalon coupé ? Pourquoi parler des « habits musulmans » comme s’il s’agissait d’un des piliers de l’islam, au même titre que les prières ? La connaissance et la pratique des qualités spirituelles et universelles, tels que la générosité, l’empathie, l’honnêteté, la justice, la bienveillance, le pardon, sont mille fois plus importantes que de s’envelopper de la tête aux pieds dans un tissu noir ou blanc…  Dans l’Arabie du 7ème siècle, c’est le voile qui protégeait le mieux la dignité et la personnalité des femmes. Aujourd’hui, ce qui préserve le mieux la dignité et la personnalité des femmes, c’est l’éducation. C’est grâce à l’éducation que la femme peut se défendre contre toute atteinte à sa féminité et sa dignité, et que l’homme peut apprendre à  respecter et à regarder la femme autrement. Aujourd’hui, le voile de la musulmane au Niger, c’est l’éducation obligatoire de tous les fils et les filles de ce pays. Et nous précisons qu’il s’agit bien d’éducation et non pas simplement d’instruction.

L’islam encourage la recherche des connaissances et le recours à la raison. Chaque être humain a le devoir fondamental de développer ses connaissances en regardant le monde par ses propres yeux et non par ceux d’autrui. Nous ne devons pas adhérer à un mode de pensée simplement par tradition ou par mimétisme, mais nous forger nous-mêmes nos propres idées.  N’ayons donc pas peur de rechercher la vérité en toute indépendance. Rappelons-nous également que « religion » vient du mot latin relegere (accueillir) et religare (relier).  Les religions sont là pour aider le croyant à se ressourcer dans sa relation à Dieu pour aller vers les autres, tous les autres, et œuvrer pour le bien commun de l’humanité toute entière.

Le « vrai » islam est un islam de beauté, d’ouverture, d’intelligence et de lumière. Renouons avec cet islam là.