Les cours particuliers se développent de manière considérable à Niamey. Toutes les familles qui en ont les moyens se payent des répétiteurs. A quoi est dû ce phénomène? Est-ce parce qu’au sein de nos écoles il n’existe pas de recours pour les élèves qui ont des difficultés à apprendre ? Si l’élève qui n’a pas compris sa leçon, l’élève qui veut faire relire son travail, l’élève qui veut qu’on lui ré explique une formule, ne trouve pas de recours au sein de son école, c’est inévitablement à l’extérieur que ce recours va se développer.
Les cours particuliers peuvent aider les élèves à mieux apprendre et les enseignants à arrondir leur fin de mois. Une formule donc qu’on pourrait qualifier de « gagnant-gagnant ». Mais, à y voir de plus près, on constate que la réalité est bien plus nuancée.
La croissance des cours particuliers est alimentée par toutes les classes sociales… à l’exception des plus démunis. Ces derniers sont doublement pénalisés. Ils ne peuvent ni être aidé par leurs parents analphabètes ni se payer des cours particuliers. Et on constate que le cours particulier s’institue de plus en plus non pas comme un recours ponctuel pour un élève largué dans une matière particulière mais plutôt comme une école bis. Beaucoup de familles se sentent obligés d’investir dans les cours privés, parce que les professeurs de leurs enfants insistent sur les avantages de ce type de soutien. Cette focalisation sur le soutien extérieur fait passer au second plan la question des pratiques pendant le temps scolaire normal. Peut- on vraiment diminuer l’échec scolaire en multipliant les cours privés après l’école, sans mener un débat sur la motivation, la qualité et la formation des enseignants, ainsi que la réelle efficacité de leur travail accompli pendant les heures de classe?
Le soutien scolaire privé se résume souvent à une simple reprise de contenus transmis en classe. Est-ce que cette reprise suffit pour que l’enfant apprenne réellement ? Les difficultés scolaires d’un enfant peuvent être dues à plusieurs facteurs : lacunes, situations psychologiques, rapport au savoir erroné, ignorance des stratégies d’apprentissage … Ces difficultés nécessitent une intervention et une approche différente de la part du répétiteur qui justement doit faire autre chose que de faire répéter une leçon à l’élève ! Un travail sur les méthodes d’apprentissages (apprendre à apprendre) par exemple est une des conditions de la réussite de beaucoup d’élèves. Rares sont les répétiteurs qui proposent ces méthodes. Sous la pression des parents, ils enseignent uniquement en vue de l’amélioration des notes et mettent l’accent sur le par cœur et la répétition plutôt que sur la vraie compréhension.
Un des buts essentiels d’une éducation réussie c’est de rendre les élèves autonomes. Il ne faut pas perdre de vue que réussir, c’est apprendre à se passer d’aide. Les cours particuliers tels qui sont dispensés aujourd’hui vont-ils dans cette direction ou plutôt dans la direction diamétralement opposée ?
Par ailleurs, et ne nous voilons pas la face, vu le niveau relativement bas des salaires, le souci premier des enseignants est de gagner un maximum de revenus complémentaires. Par conséquent, la quantité de leurs cours privés prime souvent sur la qualité de ces mêmes cours. Se pose alors non seulement la question de la modalité et la qualité des cours privés mais également la qualité et la modalité des cours en classe. Le travail complémentaire des enseignants qui leur permet de « rougir la sauce » comme on dit, ne se fait-il pas au détriment de leur travail principal au sein de l’institution ?
Normalement, un bon enseignant doit consacrer une partie de ses heures « libres » à la préparation de ses cours, à l’amélioration de ses méthodes pédagogiques et à la mise à jour de ses connaissances. Combien de nos enseignants peuvent s’atteler à ces tâches s’ils ont x heures de cours privés à dispenser ? Souvent, les enseignants s’opposent à toute proposition ou innovation ayant une incidence sur leurs cours particuliers et sur le temps qu’ils y consacrent. Et c’est là qu’on rentre dans le cercle vicieux suivant : des cours mal préparés par les enseignants conduisant à des leçons mal comprises par les élèves qui, ne trouvant pas de recours à l’école, cherchent un accompagnement extérieur, d’où l’augmentation de la demande pour les cours particuliers qui à son tour influe sur la qualité des cours dispensés à l’école.
Une hausse des salaires des enseignants ne changera pas grande chose à cette situation. Tant que la demande pour le soutien privé existera, ils seront toujours tentés de doubler leur salaire en dispensant des cours particuliers.
Le principal carburant de cette demande demeure l’incapacité de nos écoles à assurer leurs missions : des enseignants mal formés, pas de dispositifs de soutien intérieurs et le manque d’attention porté aux élèves en difficulté. Si les cours particuliers peuvent être à petites doses complémentaires de l’école qui actuellement n’arrive pas à résorber l’échec scolaire, ils sont à grosses doses concurrents.
Nous devons donc réfléchir à mettre en place des recours au sein de l’école, de telle manière à ce que les élèves et leurs familles n’aillent pas chercher à l’extérieur ce que l’école ne leur donne pas en son sein.