A son arrivée à six/sept ans à l’école primaire, l’enfant nigérien sait parler dans une ou plusieurs langues nationales, mais pas encore en français. Certes, le français est la langue officielle du Niger, mais le degré de familiarité linguistique avec cette langue est très divers, voire même inexistant, selon l’origine géographique, sociale et familiale de l’enfant. Pourtant, dès la première année d’école, l’enfant nigérien est tenu d’apprendre à parler, lire et écrire en français, c’est-à-dire il est alphabétisé dans une langue qu’il ne parle pas et ne comprend pas.

Avant d’aller à l’école, l’enfant a une expérience lexicale et syntaxique non explicitée de sa langue maternelle. Il connaît des mots et il forme des phrases, sans savoir ce qu’est un mot ou une phrase. Une fois à l’école, c’est cette expérience non consciente qui va lui permettre de mieux appréhender l’écrit et de lui attribuer de la signification. Ne recevant malheureusement pas de formation scolaire dans sa langue maternelle, l’écolier nigérien ne profite pas de cette expérience. En outre, n’ayant pas d’expérience langagière en français, il a du mal à développer des compétences sociales et cognitives de lecteur et à réaliser la mise en relation oral-écrit. Or toutes les recherches récentes sur la lecture montrent que la compréhension de l’écrit s’appuie sur les connaissances générales qu’a l’enfant sur le langage. Il est par conséquent indispensable que nos écoles comblent ce manque chez nos enfants en les familiarisant d’abord avec le français oral avant de leur apprendre à lire dans cette même langue, comme c’est le cas actuellement.

Aujourd’hui, en dehors de quelques rares établissements où l’enseignement se pratique en langues nationales, l’apprentissage du langage et de la lecture en français se fait en même temps et cela place nos écoliers dans une situation bien difficile. L’enseignement de la lecture en français gagnerait à être précédé d’une phase importante de pratique de la langue française, accompagnée progressivement de quelques activités destinées à la prise de conscience des réalités linguistiques de cette langue : phonèmes, mots, phrases. A cette activité langagière et linguistique s’ajouterait une familiarisation avec les fonctions de l’écrit et de ses usages sociaux. Une fois cette pratique de la langue assurée et la conscience de la relation oral-écrit amorcée, on pourrait passer à l’apprentissage proprement dit de la lecture.

Tant qu’on ne généralise pas l’enseignement en langues nationales et qu’on ne repose pas la question de la chronologie des apprentissages, nos écoliers continueront à avoir d’énormes difficultés à lire et à écrire en français. L’oral en français doit passer avant l’apprentissage de la lecture dans cette langue. On apprend à parler en parlant, ce qui développe une compétence implicite. L’enseignement de la lecture et de l’écriture, c’est à dire le savoir explicite, ne doit intervenir qu’à la suite du développement de la compétence implicite.

Si nous voulons élever le niveau d’apprentissage de la majorité des élèves nigériens, il importe de généraliser l’enseignement bilingue (langues maternelles/français) et de modifier la chronologie des apprentissages au primaire, afin de faire passer l’oral avant la lecture et l’écriture. Sans un tel changement, la qualité de l’éducation au Niger restera faible.